dimanche 9 octobre 2011

Islande #7/Earthscape, Sólheimajökull




Lorsqu’on aborde les parages du glacier par la route 1, avant de s’engager sur la piste qui mène à son pied, c’est son caractère fluide qui s’impose : un fleuve de glace qui s’écoule. Ses larges courbes sont encore soulignées par les fines bandes qui le parcourent, médianes et parallèles, grises, presque noires, et sa blancheur contraste avec les couleurs sombres, vertes et brunes, des parois rocheuses qui l’enserrent.
                A cette distance, la mémoire pourrait encore tenter de le faire coïncider avec quelque illustration de glacier, savamment générale et précisément légendée, tirée d’un manuel ancien de géographie ou autre dictionnaire visuel, si ce n’était la masse nuageuse qui l’absorbe par en dessus et que le dessinateur, pourtant scrupuleux, n’avait pas prévu ! La carte semble plus fiable. Elle indique que le Sólheimajökull, déjà impressionnant, n’est qu’une des nombreuses langues glaciaires qui s’écoulent du Mýrdalsjökull, «  le glacier de la vallée du marais », calotte glaciaire du Sud de l'Islande et quatrième plus grande du pays.
                Le mirage se dissipe vite tandis que son modèle disparaît, dès les premiers virages franchis. La piste, tracée chaque année, vers le mois de juin, au terme de la débâcle glaciaire, est sinueuse et défoncée. Elle traverse la masse considérable de la moraine frontale, coupée de gués et contournant le désordre gris des monticules détritiques.
Lorsque le glacier réapparaît, tout à changé. Oubliée l’image harmonieuse du majestueux glacier. L’espace qui s’étend à sa base est un monde en soi, chaos isolé, indécis, noyé par les nappes de brumes, grand désordre géologique que l’on peine à déchiffrer. Problème de proportions : plus on s’approche, moins les choses se comprennent. On ne distingue plus que le front du glacier qui là-bas occupe presque tout le cadre, mais sans sa profondeur, précédé d’un ensemble erratique : blocs aux étranges pointes acérées, entourés d’étendues d’eau brunes, dont on ne sait s’ils sont de terre ou d’une glace maculée de poussières noires, réseau des ruisselets d’eau de fonte et larges plages de fine argile dont les circonvolutions redoublent à échelle réduite les reliefs alentour.
Ici enfin, perché sur la masse glacée, sur le dos de la bête, à la peau bosselée, scarifiée, fissurée, l’air se fait plus vif. Un monde où tous les éléments interagissent, où tous les états de l’eau se mêlent : la glace, l’eau en minces et multiples filets qui s’écoulent en surface ou que l’on entend dans la profondeur et la brume propre au microclimat de la vallée qui couvre et découvre, noie et libère des pans verdoyants, des arêtes acérées, des ouvertures dans le relief. Le glacier possède à la fois les attributs du fluide et ceux du solide. Il coule, ses courbes nous le confirment, mais son mouvement, figé, nous reste imperceptible. Il se craquelle, se brise en éclats, ses crevasses et séracs l’attestent. Sa force mécanique broie, abrase et lamine la roche et, dans le même temps, sa plasticité lui permet d’épouser les reliefs, de porter vers l’aval tous ces sédiments.
Avec surtout les cendres qui viennent contredire la première impression. Gris-noir, plutôt que blanc. Ces cendres, dans un jeu subtil de contrastes, dessinent chaque accident, chaque anfractuosité et ménagent des ouvertures sur un bleu opalescent presque turquoise. En surface, elles pourraient provenir de l’éruption sous-glaciaire de l’Eyjafjallajökull du printemps 2010, ce petit frère de glace du Mýrdalsjökull, dont il n’est séparé que par une fine bande de terre au col de Fimmvörðuháls. Celles, emprisonnées dans sa masse, charriées par la langue de glace, arrivent probablement du Katla, dont la caldeira sommeille bien plus haut sous une couche de glace d'une épaisseur de plusieurs centaines de mètres.
Le temps couvert est peut-être celui qui convient le mieux à ce lieu. Dans une sombre luminosité, les nuages sont encore descendus, qui enveloppent maintenant presque entièrement le glacier. On ne voit rien d’autre que la base d’une structure dont je reconstruis en un instant le sommet. Remodeler le paysage à son goût est une liberté absolue lorsque celui-ci sommeille, dissimulé par un lit de nuages.

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