samedi 19 novembre 2011

Islande #11/Jökulsárlón




[…] Armé de son détecteur, James finit par retrouver le corps de l’agent 006, enseveli sous la neige. Caché sous la photo de la femme et de l’enfant, dans le boîtier en forme de cœur que celui-ci portait au cou, il découvrit ce qu’il était venu chercher : l’ultra secrète puce électronique. Ne lui restait plus, chaussé de skis et cintré dans une seyante combinaison blanche, qu’à échapper au feu nourri d’un hélicoptère et de chasseurs alpins soviétiques. Il descendit les pentes enneigées jusqu’au lac glaciaire, où l’attendait une de ces surprenantes inventions sorties des labos du MI6, un sous-marin camouflée en iceberg. Une fois s’être glissé à l’intérieur par le sas à l’effigie de l’Union Jack, il pouvait enfin savourer une coupe de champagne, sur une confortable banquette king size, en compagnie de l’avenante présence féminine qui était aux commandes de l’engin, avant que celui-ci ne rejoigne l’Alaska. Ce coup de maître n’était pourtant que le préambule à une mission hautement périlleuse qui mènerait bientôt James à des découvertes plus surprenantes les unes que les autres.
[…] Le temps était compté. Le palais de glace édifié sur le lac gelé se brisait déjà et menaçait à tout moment de sombrer, entrainant dans la débâcle glaciaire Jynx « la poisse », sa partenaire et néanmoins concurrente de la NSA, rencontrée quelques semaines plus tôt à Cuba alors qu’ils tentaient chacun en solo de découvrir sur l’île de Los Organos la véritable nature des activités de la clinique secrète du sulfureux Dr Alvarez. Au volant de son Austin Martin, dotée par Q le bricoleur fou du MI6 de tous les accessoires et du surprenant camouflage évolutif, et poursuivi par la Jaguar du cruel Zao, James -un autre James, à moins qu’il ne s’agisse du même… là-dessus, les choses ne sont pas claires- parvint in extrémis, au terme d’une poursuite effrénée, à secourir son équipière. Ne restait plus qu’à contrecarrer les desseins de l’ignoble Gustav Graves. La démonstration offerte par celui-ci sur la base islandaise de son projet Icare, satellite secret devenu engin de destruction, financé par le trafic de diamants de conflit, avait permis à l’agent 007 de percer le mystère de son identité.
                […] Depuis que, guidée par le déclenchement de son tic-tac, elle avait découvert le fabuleux artefact, le temps s’était comme accéléré. Il ne lui restait plus maintenant que quelques heures avant que le compte à rebours n’arrivât à son terme. Lara était résolue. Des berges de ce lac gelé, en pleine Sibérie arctique, et après s’être procurée auprès du groupe d’autochtones qui vivait là un équipage de chiens de traîneau, elle allait devoir s’élancer vers la dernière épreuve : traverser le glacier jusqu’à la cité perdue, trouver la deuxième partie du triangle et accomplir la prophétie. A l’instant précis où le premier des véhicules amphibies, dans lequel elle se tenait aux côtés d’Alex West, l’archéologue pilleur de tombes, et Manfred Powell, l’homme des Illuminati et ennemi intime, pénétra dans ces eaux polaires où dérivaient des icebergs, les paroles prononcées peu de temps auparavant par l’étrange petite fille lui revinrent à l’esprit. Celle-ci voulait la dissuader de tout tenter pour le revoir. Mais, habitée par cet espoir fou, Lara était prête à prendre tous les risques. Elle savait pourtant que, si le temps lui avait volé son père, on ne pouvait pas en modifier le cours et qu’elle devrait se résoudre à détruire le triangle.
                […] Le corps rompu par l’assaut et l’esprit comme en fusion, il ne savait plus depuis quand exactement son initiation avait commencé. Et le temps lui semblait maintenant lointain où, sur l’intervention du mystérieux Ducard, il avait été libéré des geôles chinoises. Après son exil volontaire de Gotham City, une longue dérive à travers le monde obscur des criminels l’y avait mené, alors qu’un profond sentiment de colère et de culpabilité inlassablement le torturait. Il avait ensuite suivi les instructions, avait marché longuement dans le froid de ces terres désolées en direction de l’Est, avait gravi la montagne en lisière de glacier en ramassant sur les versants une de ces fleurs bleues très rares et était parvenu à l’emporter jusqu’au sommet. Mais, c’est à l’instant précis où il sentit la glace se rompre sous son poids, alors qu’il le tenait à sa merci, qu’il résolut définitivement le problème du choix. Le duel dans la solitude glaciale était-il encore un exercice ou déjà une mise à l’épreuve ? Non, il n’entrerait pas au service de Ra's Al Ghul et ne suivrait pas la voie de sa Ligue des Ombres. Il avait changé : le jeune Bruce, orphelin et richissime héritier de l’empire Wayne, avait appris à maîtriser sa peur, était devenu plus fort. Mais c’est par d’autres moyens qu’il entendait lutter contre l'injustice et répandre la terreur dans le cœur de ceux qui exploitent la faiblesse et les peurs.

Vous aurez évidemment reconnu, dans l’ordre d’apparition dans ce texte, le James Bond de 1985 dans Dangereusement vôtre de John Glen, celui de Meurs un autre jour, réalisé en 2002 par Lee Tamahori, Lara Croft ensuite, dans le film Tom Raider de Simon West, sorti en 2001, et enfin Bruce Wayne, future chauve-souris masquée, dans Batman Begins de Christopher Nolan en 2005. Que faisaient-ils donc tous en ce même lieu, ces touristes singuliers, personnages pixélisés ou de celluloïd ? Sans doute trouvèrent-ils là pour leurs aventures un cadre polaire dans un pays qui ne l’est pas : le Jökulsárlón, lac glaciaire et ses mini icebergs, sur la côte sud d’une Islande bien réelle baignée par le Gulf Stream. A moins que ce ne soient plutôt les producteurs de blockbuster et autres publicitaires, attirés par des conditions logistiques confortables et financières intéressantes, qui aient choisi pour eux ce lieu de tournage hors du commun au potentiel hautement fictionnel.
Aujourd’hui, sans doute moins glamours, voire carrément quelconques avec leur Gore-Tex® et leurs chaussures de rando, les touristes sont bien là. Et ils sont bienheureux. Le cadre irréel et onirique du Jökulsárlón se déploie devant eux : une lagune glaciaire dans laquelle l'un des glaciers auxiliaires du Vatnajökull, le Breiðamerkurjökull, se disloque et vêle de nombreux icebergs. Dans le jeu de la lumière, les blocs de glace, de formes et de tailles variées, striés de lignes de cendres volcaniques, présentent toute une gamme de teintes et d’effets de surface : blancs laiteux ou mats, comme poudreux, ou alors translucides, opalescents, dans une déclinaison de bleus, du turquoise au presque noir. Scintillant sous le soleil ou fantomatique lorsque la brume l’enveloppe, le décor évolue constamment, au gré des mouvements de la glace et des éventuels retournements d'icebergs. Au fur et à mesure de leur fonte, ceux-ci rejoignent la mer par la Jökulsá, un petit estuaire enjambé par un pont construit en 1967 et que la route n° 1 emprunte. Certains déjà sont emportés, d’autres s’échouent sur la plage de sable noir, où le ressac achève de les sculpter en des formes toujours renouvelées.
                Moyennant quelques couronnes, ces touristes peuvent même parcourir le lac en véhicule amphibie et goûter, sensation troublante, un morceau de cette glace millénaire bleu turquoise. Encore une histoire de temps et de mouvement. Cette glace date d’une époque –la colonisation de l’Islande- où le front du glacier se situe loin en retrait de la ligne de côte. Vers la fin du XIIe siècle, le climat commence à refroidir et la calotte du Vatnajökull à s’étendre, avec une « crue » pendant le petit âge glaciaire (1600-1900), jusqu’à atteindre la mer à son apogée, en 1890. Au tournant du XXe siècle, le mouvement s’inverse et le recul s’amorce vers 1930 avec pour conséquence la création d’un lagon. Celui-ci ne cesse de s’étendre depuis, à mesure que la langue glaciaire se rétracte, alors que la mer creuse toujours plus les reliefs de la moraine frontale. Selon les géologues, l’accès devrait s’ouvrir dans un avenir proche, entrainant la disparition du lac et de la route circulaire.
Peut-être en ces jours probables mais imprévisibles, une équipe de tournage se trouvera-t-elle sur place pour enregistrer cette scène digne d’un film catastrophe, de la mer s’engouffrant dans la brèche, de la vague emportant la route 1 et mêlant ses eaux à celles du Jökulsárlón, entrainant ainsi sa disparition.

Aucun commentaire: