vendredi 25 novembre 2011

Islande #15/Highlands, F26




Je sais aujourd’hui que des « lieux » […] exceptionnels dans la hideur ou la splendeur et dont l’homme est quasiment absent nous piègent comme un miroir à alouettes, dérobent à notre cœur une image latente et la multiplient comme une gigantesque loupe. Il est vrai qu’en pénétrant dans ce canton désert et indicible, depuis longtemps je n’avais rien vu d’aussi beau, j’avais pensé à la mort en même temps qu’au miracle que c’était d’exister là, exactement là.
Nicolas Bouvier, Voyage dans les Lowlands.

                Seules deux pistes traversent les Hautes Terres d’Islande. La piste Kjolur ou F35 s’engage, juste après la cascade de Gullfoss, entre les glaciers Langjökull et Hofsjökull en direction du désert intérieur. La F26, appelée aussi Sprengisandur, la plus longue des deux, permet de relier le Sud au Nord en traversant les territoires situés entre les glaciers Hofsjökull et Vatnajökull.
                Chaque « route de montagne », traduction littérale de fjallvegur, est repérée par son numéro précédé d'un F. Ces pistes sont uniquement accessibles aux 4x4 à cause de nombreux gués, infranchissables en voiture de tourisme. Elles ne sont ouvertes qu’en été, quand les autorités estiment que le sol est suffisamment stable et sec pour permettre aux véhicules d'y circuler sans creuser d'ornières.
                La route Sprengisandur porte le nom du territoire qu’elle traverse : vastes étendues désolées où la piste longe parfois quelque lac aux rives totalement stériles, où les mousses vertes fluorescentes et les épilobes roses se rassemblent autour des cours d'eau dans un violent contraste avec le gris noir des champs de laves et de cendres volcaniques environnant, où la vue porte au loin jusqu’aux dômes lumineux des glaciers.
                C’est une voie très ancienne, déjà utilisée aux temps de la colonisation de l'île. Ce désert avait mauvaise réputation et les Islandais se hâtaient en le traversant. Ils redoutaient les brusques changements de temps, le manque de pâturage pour les chevaux, les hors-la-loi et les proscrits dont on se racontait les histoires mais aussi la présence des fantômes, elfes, esprits et autres créatures maléfiques qui hantaient les hauts plateaux. Sprengisandur peut d’ailleurs se traduire par "les étendues de sable qui épuisent" les chevaux.
                On retrouve cet effroi dans Á Sprengisandi, une chanson populaire islandaise. Un cavalier encourage son cheval à poursuivre car il n'est pas rassuré dans ce désert fréquenté par les elfes et qui s’étend à perte de vue.

Ríðum, ríðum og rekum yfir sandinn,
rennur sól á bak við Arnarfell.
Hér á reiki er margur óhreinn andinn,
úr því fer að skyggja á Jökulsvell;
Drottinn leiði drösulinn minn,
drjúgur verður síðasti áfanginn.

Þei, þei! Þei, þei! Þaut í holti tófa,
þurran vill hún blóði væta góm.
Eða líka einhver var að hóa,
undarlega digrum karlaróm;
Útilegumenn í Ódáðahraun,
eru kannske að smala fé á laun.

Ríðum, ríðum, rekum yfir sandinn,
rökkrið er að síga á Herðubreið.
Álfadrottning er að beisla gandinn,
ekki er gott að verða á hennar leið;
Vænsta klárinn vildi ég gefa til,
að vera kominn ofan í Kiðagil.
Ride, ride, ride over the sand,
the sun is setting behind Arnarfell.
Round here there are many (dirty) spirits,
'cause it's getting dark on the glacier (ice);
Lord, lead my horse,
the last part of the way will be hard.

Tssh, sssh! Tssh, sssh! On the (small) hill a fox ran,
her dry mouth she wants to wet with blood,
or perhaps someone was calling
with a strangely dark male voice;
Outlawers in Ódáðahraun
are maybe rounding up some sheep secretly.

Ride, ride, ride over the sand,
There's getting dark on Herðubreið,
The elf queen is bridling her horse,
There's not good to meet her;
My best horse I would give to
reach Kiðagil.

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