jeudi 19 avril 2012

Islande #32/L'Islande, une île à vendre?

                     En août 2011, la proposition d’un richissime promoteur immobilier chinois, Huang Nubo, allait initier une sérieuse controverse en Islande, et même au-delà. Sa proposition, acquérir une parcelle de l’île de près de 300 kilomètres carrés ; son projet, créer un vaste complexe touristique sur ces terres islandaises situées à Grímsstaðir á Fjöllum, dans la région sauvage du Nord-est où il fait quasiment nuit six mois par an. Pour cela, il devrait débourser 100 millions de dollars.
                Monsieur Huang Nubo, 161e fortune mondiale selon le classement 2010 du magazine Forbes, avec une fortune personnelle estimée de 890 millions de dollars, est emblématique des entrepreneurs chinois de la nouvelle génération. La société dont il est le directeur, le groupe Zhongkun, possède des infrastructures touristiques en Chine et dans le monde entier. Mais il est également un ancien dirigeant du parti communiste chinois. Ainsi, avant de se lancer dans les affaires, occupait-il un poste au département central de la Propagande et au ministère de la Construction chinois. Pourtant, assurent ses amis, ce serait surtout son amour de la nature qui motiverait son investissement. Il est vrai que cet homme a de nombreux talents. Poète, il a déjà publié deux recueils de ses textes, alpiniste amateur, il a escaladé divers sommets du monde, dont le Kilimandjaro, aventurier, en mars 2011, avec l’expédition « Arctic Fox Mission », il est arrivé au Pôle Sud, devenant le huitième Chinois à réaliser cet exploit.
                Ce territoire appartient à plusieurs propriétaires, dont le gouvernement islandais. Un préaccord est signé le mercredi 29 août, après des discussions avec le ministre islandais des Affaires étrangères. Mais rien ne peut s’effectuer sans l’aval des autorités gouvernementales de Pékin et de Reykjavik. Celles-ci doivent encore approuver l’acquisition, et ce, avant le 24 février 2012.
                Est-ce que l’Islande est en position de refuser une offre aussi généreuse ? On se souvient que le système bancaire islandais, disproportionné par rapport au reste de l'économie, s'était brutalement effondré en octobre 2008, à la suite de la crise financière mondiale, entraînant l'intervention du Fonds monétaire international (FMI). Une profonde crise s’en est suivie, dans un pays jusque-là en plein boom économique. Même si la récession s'est avérée moins brutale qu'initialement redouté, le pays est depuis à la recherche d’investisseurs et d’un développement nouveau.
                Le vendredi 2 septembre, M. Huang présentait, à Pékin, les contours de son rêve islandais. Il affirme alors projeter d'investir quelque 200 millions de dollars en quatre à cinq ans pour développer un luxueux complexe hôtelier de 20.000 mètres carrés ainsi que des activités de VTT, de moto cross, de randonnée ou encore de survol de l'Islande en avion, dans une démarche respectueuse de l'environnement et de la culture locale. Il espère que 300 000 personnes, dont 150.000 Chinois, deviendront membres de son club. A titre de comparaison, l'Islande compte 320.000 habitants.
                Montrant une carte de l'immense terrain, M. Huang souligne qu'il est situé entre deux parcs naturels et composé à 99% de terres incultes et à 1% de pâturages à l'abandon. "Si je peux réunir les deux avec mon terrain, cela fera le plus grand parc naturel d'Europe", se met à rêver le patron chinois. Pour expliquer sa passion de l'Islande, Huang Nubo présente une photo de lui jeune en compagnie d'un Islandais qui a séjourné en Chine, il y a 35 ans.
                "Sans les médias, je pense qu'il n'y aurait pas problème. Mais maintenant, le gouvernement (chinois) va se demander pourquoi j'ai fait autant de bruit avec cette histoire", plaisante M. Huang devant plus d'une cinquantaine de journalistes. "Comme la Chine possède maintenant un porte-avions, cela va faire penser aux gens qu'il va aller jusqu'en Islande", ajoute-t-il, en insistant sur le caractère purement commercial et privé de sa démarche.
                Bien sûr, cet événement ne vient que confirmer les appétits des investisseurs chinois et s’inscrit dans une liste déjà longue, depuis l’Afrique jusqu’au Portugal et la Grèce, avec le port du Pirée, passé sous contrôle chinois. Il nourrit cette angoisse de plus en plus perceptible des riches sociétés occidentales devant la voracité de cette puissance dont rien ne semble pouvoir freiner le développement. De nombreux observateurs soulignent que l’enjeu, ici, s’inscrit dans le long terme, et que cette acquisition est une prise de position stratégique.
                Il suscite d’ailleurs l'inquiétude d'une bonne partie de la population islandaise. Les opposants locaux craignent que ce projet ne masque les ambitions géopolitiques de la Chine pour des terres situées dans le périmètre de l'Arctique. Avec tout juste 320 000 habitants, ce petit Etat insulaire de l'océan Atlantique Nord occupe une position stratégique entre l'Europe et l'Amérique du Nord. Avec la fonte des glaces et l'ouverture de nouvelles voies maritimes plus courtes, il pourrait devenir un port d'étape pour les cargos venant de l'Asie et une base pour exploiter les ressources minières, pétrolières et gazières du grand nord. S'implanter dans cette région et se positionner pour l'avenir, tel pourrait être l’objectif à long terme de ce projet.
                De son côté, le 10 novembre, dans un avis consultatif, le ministère des Affaires économiques se prononçait en faveur de l'implantation chinoise, controversée dans son pays, estimant qu'il n'y avait «aucune raison de penser que les intérêts de l'Islande sont d'une quelconque façon menacés par l'investissement étranger en question». « C'est la meilleure promotion de l'Islande que j'ai entendue depuis longtemps », déclarait même Mme Arnadottir, la ministre, devant la presse. Le président islandais, Olafur Ragnar Grimsson semblait lui aussi favorable à ce futur investissement. Pour lui, la responsabilité d’une telle situation incombe directement aux États-Unis et à l’Europe qui ont abandonné l’île nordique au moment de sa crise financière. Il rappelle notamment l’appui de la Chine et de l’Inde qui ont soutenu l’économie islandaise alors en pleine tourmente.
                Le vendredi 25 novembre 2011, la décision était finalement prise par le ministre de l'Intérieur islandais, Ögmundur Jonasson, souverain en la matière, de refuser au promoteur chinois l’achat de ce vaste terrain dans le nord de l'île. Il faisait valoir, dans une argumentation tout azimut, que le terrain convoité est « partiellement détenu par l'Etat et il n'est pas à vendre simplement parce qu'un prix élevé est proposé », que « cette région regorge de ressources naturelles et le terrain en question abrite l’une des plus grandes rivières glaciaires d’Islande », et enfin que, non-résident de l'espace économique européen, M. Huang devait demander une dérogation pour acheter un terrain en Islande et qu’aucune demande par lettre dans ce sens n’était parvenue à son ministère. «Quelle que soit la façon dont on aborde le dossier, il n'y avait aucun moyen de l'autoriser», a ajouté M. Jonasson.
                       Dernière épisode de ce feuilleton politico-économique et mot de la fin. Le milliardaire chinois Huang Nubo ne digérait pas l’affront islandais et exprimait le dimanche 27 novembre sa rancœur dans les médias chinois. Il y dénonçait notamment « l’hypocrisie et les préjugés profonds » des Occidentaux. Dans cette interview, contrairement aux précédentes, Huang Nubo ne parlait plus de son amour pour la beauté naturelle du pays et de son compagnon de dortoir islandais à la faculté de Pékin. Non, désormais il investirait en Chine ou le « marché est mature et le potentiel lumineux et clair », a-t-il dit et peut être aux Etats-Unis, voire en Suède ou en Finlande.