Monsieur Huang Nubo, 161e
fortune mondiale selon le classement 2010 du magazine Forbes, avec une fortune
personnelle estimée de 890 millions de dollars, est emblématique des
entrepreneurs chinois de la nouvelle génération. La société dont il est le
directeur, le groupe Zhongkun, possède des infrastructures touristiques en
Chine et dans le monde entier. Mais il est également un ancien dirigeant du
parti communiste chinois. Ainsi, avant de se lancer dans les affaires,
occupait-il un poste au département central de la Propagande et au ministère de
la Construction chinois. Pourtant, assurent ses amis, ce serait surtout son
amour de la nature qui motiverait son investissement. Il est vrai que cet homme
a de nombreux talents. Poète, il a déjà publié deux recueils de ses textes,
alpiniste amateur, il a escaladé divers sommets du monde, dont le Kilimandjaro,
aventurier, en mars 2011, avec l’expédition « Arctic Fox Mission »,
il est arrivé au Pôle Sud, devenant le huitième Chinois à réaliser cet exploit.
Ce territoire appartient à
plusieurs propriétaires, dont le gouvernement islandais. Un préaccord est signé
le mercredi 29 août, après des discussions avec le ministre islandais des
Affaires étrangères. Mais rien ne peut s’effectuer sans l’aval des autorités
gouvernementales de Pékin et de Reykjavik. Celles-ci doivent encore approuver
l’acquisition, et ce, avant le 24 février 2012.
Est-ce que l’Islande est en
position de refuser une offre aussi généreuse ? On se souvient que le
système bancaire islandais, disproportionné par rapport au reste de l'économie,
s'était brutalement effondré en octobre 2008, à la suite de la crise financière mondiale, entraînant
l'intervention du Fonds monétaire international (FMI). Une profonde crise s’en
est suivie, dans un pays jusque-là en plein boom économique. Même si la
récession s'est avérée moins brutale qu'initialement redouté, le pays est
depuis à la recherche d’investisseurs et d’un développement nouveau.
Le vendredi 2 septembre, M.
Huang présentait, à Pékin, les contours de son rêve islandais. Il affirme alors
projeter d'investir quelque 200 millions de dollars en quatre à cinq ans pour
développer un luxueux complexe hôtelier de 20.000 mètres carrés ainsi que des
activités de VTT, de moto cross, de randonnée ou encore de survol de l'Islande
en avion, dans une démarche respectueuse de l'environnement et de la culture
locale. Il espère que 300 000 personnes, dont 150.000 Chinois, deviendront
membres de son club. A titre de comparaison, l'Islande compte 320.000
habitants.
Montrant une carte de l'immense
terrain, M. Huang souligne qu'il est situé entre deux parcs naturels et composé
à 99% de terres incultes et à 1% de pâturages à l'abandon. "Si je peux réunir les deux avec mon terrain, cela fera le plus
grand parc naturel d'Europe", se met à rêver le patron chinois. Pour
expliquer sa passion de l'Islande, Huang Nubo présente une photo de lui jeune
en compagnie d'un Islandais qui a séjourné en Chine, il y a 35 ans.
"Sans
les médias, je pense qu'il n'y aurait pas problème. Mais maintenant, le
gouvernement (chinois) va se demander pourquoi j'ai fait autant de bruit avec
cette histoire", plaisante M. Huang devant plus d'une cinquantaine de
journalistes. "Comme la Chine
possède maintenant un porte-avions, cela va faire penser aux gens qu'il va
aller jusqu'en Islande", ajoute-t-il, en insistant sur le caractère
purement commercial et privé de sa démarche.
Bien sûr, cet événement ne vient
que confirmer les appétits des investisseurs chinois et s’inscrit dans une
liste déjà longue, depuis l’Afrique jusqu’au Portugal et la Grèce, avec le port
du Pirée, passé sous contrôle chinois. Il nourrit cette angoisse de plus en
plus perceptible des riches sociétés occidentales devant la voracité de cette
puissance dont rien ne semble pouvoir freiner le développement. De nombreux
observateurs soulignent que l’enjeu, ici, s’inscrit dans le long terme, et que
cette acquisition est une prise de position stratégique.
Il suscite d’ailleurs
l'inquiétude d'une bonne partie de la population islandaise. Les opposants
locaux craignent que ce projet ne masque les ambitions géopolitiques de la
Chine pour des terres situées dans le périmètre de l'Arctique. Avec tout juste
320 000 habitants, ce petit Etat insulaire de l'océan Atlantique Nord occupe
une position stratégique entre l'Europe et l'Amérique du Nord. Avec la fonte
des glaces et l'ouverture de nouvelles voies maritimes plus courtes, il
pourrait devenir un port d'étape pour les cargos venant de l'Asie et une base
pour exploiter les ressources minières, pétrolières et gazières du grand nord.
S'implanter dans cette région et se positionner pour l'avenir, tel pourrait
être l’objectif à long terme de ce projet.
De son côté, le 10 novembre, dans
un avis consultatif, le ministère des Affaires économiques se prononçait en
faveur de l'implantation chinoise, controversée dans son pays, estimant qu'il
n'y avait «aucune raison de penser que
les intérêts de l'Islande sont d'une quelconque façon menacés par
l'investissement étranger en question». « C'est la meilleure promotion de l'Islande que j'ai entendue depuis
longtemps », déclarait même Mme Arnadottir, la ministre, devant la
presse. Le président islandais, Olafur Ragnar Grimsson semblait lui aussi favorable
à ce futur investissement. Pour lui, la responsabilité d’une telle situation
incombe directement aux États-Unis et à l’Europe qui ont abandonné l’île
nordique au moment de sa crise financière. Il rappelle notamment l’appui de la
Chine et de l’Inde qui ont soutenu l’économie islandaise alors en pleine
tourmente.
Le vendredi 25 novembre 2011, la
décision était finalement prise par le ministre de l'Intérieur islandais,
Ögmundur Jonasson, souverain en la matière, de refuser au promoteur chinois
l’achat de ce vaste terrain dans le nord de l'île. Il faisait valoir, dans une
argumentation tout azimut, que le terrain convoité est « partiellement détenu par l'Etat et il n'est pas à vendre
simplement parce qu'un prix élevé est proposé », que «
cette région regorge de ressources naturelles et le terrain en question abrite
l’une des plus grandes rivières glaciaires d’Islande », et
enfin que, non-résident
de l'espace économique européen, M. Huang devait demander une dérogation
pour acheter un terrain en Islande et qu’aucune demande par lettre dans ce sens
n’était parvenue à son ministère. «Quelle
que soit la façon dont on aborde le dossier, il n'y avait aucun moyen de
l'autoriser», a ajouté M. Jonasson.
Dernière épisode de ce
feuilleton politico-économique et mot de la fin. Le milliardaire chinois Huang
Nubo ne digérait pas l’affront islandais et exprimait le dimanche
27 novembre sa rancœur dans les médias chinois. Il y dénonçait notamment
« l’hypocrisie et les préjugés profonds » des Occidentaux. Dans cette
interview, contrairement aux précédentes, Huang Nubo ne parlait plus de son
amour pour la beauté naturelle du pays et de son compagnon de dortoir islandais
à la faculté de Pékin. Non, désormais il investirait en Chine ou le
« marché est mature et le potentiel lumineux et clair », a-t-il dit
et peut être aux Etats-Unis, voire en Suède ou en Finlande.
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