dimanche 2 janvier 2011

Itinéraires corses/Finis Terrae

    si bien qu’il vaut mieux considérer comme forme du monde celle du golfe que j’ai devant les yeux, délimitée par le cap qui se trouve à l’est par rapport à moi et par celui qui se trouve à l’ouest, et, si ce n’est pas un cap, par ce quelque chose qui clôt ma vue d’un côté comme de l’autre, dos de colline, tronc d’olivier, surface cylindrique de réservoir en ciment, haie de genêts, araucaria, parasol, ou quelles que soient les deux coulisses qui délimitent la scène au centre de laquelle je me trouve, en tournant le dos à une grande toile de fond et faisant face à la rampe de l’horizon lumineux.
Extrait du texte De l’opaque d’Italo Calvino
Inscrit dans cette longue cascade de crêtes sculptées par l’érosion qui depuis le Capu d’Otu plonge dans la mer, Piana porte le nom du judicieux replat que la géologie a ménagé en ce lieu. J’arrive maintenant au bord du village, là où il s’achève en balcon. Une clôture suit la courbe de niveau et sépare alors le chemin du champ qui plonge vers l’à-pic. Un profond sillon empli de végétation le cerne à droite, que surplombe la première échine rocheuse des calanche. Dans la douce incurvation du terrain, le pré, fauché depuis longtemps, laisse voir en cette saison sous la lumière du crépuscule une terre ocre presque rouge. Je sais l’étroite route en lacets qui négocie sans fin avec la pente de la vallée du Mezzanu, les dernières volées de marches pour accéder des cabanons au triangle de sable de cette plage de poche. Enserrée dans la falaise de granite rouge, ancien abri de pêcheurs de langoustes, la minuscule marine de Ficaghiola est à l’ombre déjà à cette heure-ci. Je la sais là-bas, légèrement décalée vers l’ouest, quelques quatre cents mètres en contrebas, mais invisible.
Un établi, avec les mâchoires de son étau graisseux et le joyeux bazar qui l’entoure, est accolé à cette lisière, délaissé. Quel bricoleur céleste travaille là ? L’ouvrage semble accompli à cette heure. Il n’y a plus maintenant que le bleu intense du golfe, les caps qui se succèdent d’est en ouest en un long panoramique : Punta Bianca, Punta Rossa, Punta di Latone, Capu Seninu et la presqu’île de Scandola qui le ferme, et le poudroiement doré de la lumière du soir qui en détache les plans comme autant de décors d’une scène vide. Et la plongée vers l’horizon ; sentiment stupéfiant d’être posté sur la corniche ultime du monde.

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