dimanche 2 janvier 2011

Itinéraires corses/Inquiétante étrangeté

Dans un décor qui a renoncé à s'émouvoir,
et songe seulement à tomber en ruine,
la vie s'inquiète et s'agite de ne savoir que ressusciter.
                                          Francis Ponge, Le parti pris des choses
Sur la route vers le sud, la marine d’Albo et la plage d’un gris métallique qui l’a coupée de la mer. Ironie de cette histoire industrielle, les stériles de serpentinite ammiantifère ont ici comblé la baie, son petit port et même celui que la société minière avait fait construire, en dédommagement, au pied de la vieille tour génoise. Puis le village perché de Nonza. Du sommet de la falaise, on peut lire en contrebas, sur la surface sombre de la plage de plusieurs kilomètres, au tracé étonnamment droit, des lignes de galets plus clairs assemblés en autant de messages. Spirales et cœurs amoureux percés d’une flèche, cercles concentriques de quelque land-artiste hyperactif ou signaux de piste d’atterrissage pour engins inconnus, bâtonnets comme des mitochondries dans le cytoplasme vert de jais, graphismes énigmatiques tels les géoglyphes de Nazca, ces signes forment en négatif des écritures, vernaculaires ou savantes, sur une page à ciel ouvert.
Dans la pente, bordé de murets et coupé de volées de marches, le chemin serpente entre les terrasses ensauvagées, les citernes de pierre et quelques jardins suspendus où subsistent des cédratiers. Au débouché de l’abrupt sentier, une construction de schiste gris ne laisse plus dépasser des vagues de galets que son toit de lauzes, vestige probable de la marine de Nonza ensevelie. Sur la grève noire, les silhouettes qui marchent ondoient continument dans le flux de chaleur qui monte. A chaque vague, les galets calibrés roulent et s’entrechoquent dans une succession de cliquetis et leur luisant disparaît, à l’instant où la mer se retire, dans l’évaporation immédiate. Une inquiétante étrangeté s’est emparée de ce territoire.

Aucun commentaire: